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LE 31 MARS 1814 - le 15/05/2014 @ 17:13 par Dominique_Delord

LE 31 MARS 1814 

LES ARMÉES ÉTRANGÈRES DESCENDENT LE FAUBOURG SAINT-MARTIN

En cette année 2014 où l’on commémore le centenaire de la Grande Guerre 14-18, il faut se souvenir d’un autre évènement historique d’importance : le bicentenaire de la Bataille de Paris le 30 mars 1814, signant la défaite de Napoléon face à la coalition des alliés russes, prussiens et autrichiens et le retour à la monarchie. Dominique Delord nous fait revivre des événements qui affectèrent grandement notre territoire (futur 10e).

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La bataille de Paris

À l’aube du 30 mars 1814, la Bataille de Paris se prépare : Ultime épisode de la Campagne de France, elle abattra Napoléon et son empire, et amènera la restauration de la monarchie des Bourbons. Les Faubourg Saint-Martin et Faubourg Saint-Denis seront le théâtre de ces événements historiques majeurs.

Depuis trois mois déjà, Russie, Prusse et Autriche se sont coalisées et ont réuni plus de 130 000 fantassins et cavaliers de toutes origines. Bon nombre de batailles, tantôt perdues, tantôt gagnées, ont déjà opposé leurs armées aux troupes françaises, mais peu à peu les Coalisés ont resserré l’étau autour de la capitale. Face à elles, les troupes françaises appelées à défendre Paris sont trois fois moins nombreuses. Aussi en toute hâte a-t-on renforcé tant bien que mal le mur des Fermiers Généraux[1]. Napoléon, quant à lui, est encore en Champagne ; connaissant le danger, il tente d’avancer à marches forcées.

Les coalisés se sont disposés sur un large front, entre Vincennes et Clichy, mais les combats les plus acharnés se tiendront au nord et nord-est de cette zone, de Clichy à Pantin, les troupes étrangères déferlant dans la Plaine Saint-Denis et utilisant la coulée du canal de l’Ourcq (le seul alors construit). À l’ouest, Moncey défendra Montmartre et Clichy contre les Prussiens du Prince de Wurtemberg. Sur le front central (La Chapelle, Pantin, La Villette), Mortier se battra contre ceux de Blücher. Et dans la partie la plus orientale, le russe Barclay de Tolly sera face à Auguste de Marmont. Il reviendra à Joseph, frère de Napoléon, déchu de son éphémère trône espagnol, de commander l’ensemble de l’armée française.

Le jour n’est pas levé quand commence l’effroyable bataille. Dans Paris, on entend les canonnades, on voit les incendies. « Sur le boulevard Saint-Martin, une multitude ardente s'entassait près du Château-d'Eau devant une éclaircie de maisons qui laissait voir la Butte Chaumont et une partie de la bataille ; dans les faubourgs, on voyait descendre des fiacres et des brancards portant des blessés, et monter de petits groupes de gardes nationaux, de gendarmes, de soldats de tous corps qui allaient à l'ennemi (…) »[2] .

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 Position des armées au début de la Bataille de Paris. Les troupes françaises sont en bleu, les étrangères en rouge.

Vers 16h, malgré leur énergique résistance, les Français sont clairement battus. Dans l’un et l’autre camp, les pertes sont lourdes. On évaluera les victimes à près de 10 000 soldats.

En milieu de journée, Joseph Bonaparte, prêt à quitter Paris avec armes et bagages (et ses ministres, comme Napoléon l’avait demandé), avait autorisé Marmont à entamer des négociations avec les Russes. Marmont négocia dans l’après-midi la capitulation dans un cabaret proche de la Barrière Saint-Denis (place de La Chapelle actuelle), et la nuit même, c’est chez lui, 51, rue de Paradis, que cette capitulation fut finalisée. Plusieurs Français notables étaient présents – dont Talleyrand, Chabrol (Préfet de la Seine), Pasquier (Préfet de police), les banquiers Laffitte et Alphonse Perrégaux, beau-frère de Marmont[3] …toutes personnalités qui avaient senti le vent tourner et tireront le meilleur profit de la chute de Napoléon. Celui-ci était encore à Juvisy quand il apprit la nouvelle de la défaite.

Les troupes coalisées entrent dans Paris

Vers 4 heures du matin, les rescapés de l’armée française commencent à quitter la ville par le sud, et à 7 heures, comme le prévoyait la capitulation, les troupes étrangères prennent possession des barrières de la ville et entrent dans Paris par le faubourg Saint-Martin. A leur tête chevauchent le Tsar Alexandre 1er, tenant à sa droite le Prince et général Schwartzenberg, représentant l’Empereur d’Autriche et à sa gauche le Roi de Prusse, Frédéric-Guillaume III.

Ce défilé d’environ 80 000 hommes se fera en bon ordre, jusqu’au soir. 

Le haut du faubourg Saint-Martin est alors très peu peuplé – ce sont surtout des jardins maraîchers - et seul le silence accueille d’abord les soldats.

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Plan Piquet, 1812

Par contre, en bas du faubourg, certains s’enhardissent, agitent des tissus blancs aux fenêtres, on commence à crier Vive le Roi ! Le jeune vaudevilliste Paul de Kock a raconté : « Je les ai vu salir leurs mouchoirs blancs pour essuyer la poussière sous les pas des chevaux des souverains alliés caracolant à la tête de leurs armées…[4] ». Après ces évènements, les royalistes racontèrent bien entendu un accueil délirant d’enthousiasme[5], mais la plupart des témoins remarquèrent au contraire le peu d’animation de la foule, comme abasourdie de l’annonce de ce soudain retour d’une monarchie. L’armée se dirigea vers les Champs-Elysées, les Invalides et le Champ de Mars, pour y camper.

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Entrée des alliés dans Paris par la porte St-Martin, 31 mars 1814

Gravure de Levachez et Pecheux

Un mois plus tôt, les Parisiens de la Porte Saint-Martin avaient pu voir d’autres Cosaques, dans une situation bien différente : le 11 février, ils avaient été faits prisonniers lors de la Bataille de Montmirail (Marne), que Napoléon avait remportée de haute lutte.

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 Les Prisonniers russes défilant sur le boulevard Saint-Martin à Paris, après la bataille de Montmirail, 17 février 1814.

Château de Versailles Étienne Delecluze (1781-1863)[6].

Les troupes étrangères – russes surtout - occupèrent Paris pendant deux mois. Si Paris fut épargné par la bataille, les communes qui l’entouraient avaient été dévastées (au nord et à l’est surtout), leur économie en pâtit pour longtemps. Paris et banlieue durent subir le cantonnement de dizaines de milliers de soldats et les réquisitions de toutes espèces.

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L’occupation russe à Paris, par Georg Emanuel Opitz

Pendant ce temps, on prépare le retour de Louis XVIII, et le 12 avril, c’est le tour de son frère, le Comte d’Artois, de rentrer à Paris par le faubourg Saint-Martin. Il va assister à un somptueux Te Deum à Notre-Dame.

Mais c’est le faubourg Saint-Denis que Louis XVIII va descendre, le 3 juin 1814. Tout avait été fait pour que ce retour ait le plus de faste possible.

Sur l’estampe ci-dessous, on voit le roi arriver au Pont-neuf, devant les Tuileries, et on peut remarquer une statue équestre d’Henri IV, qui n’est ni celle que nous connaissons aujourd’hui, ni celle que Jean de Bologne avait sculptée en 1614.

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 Entrée de Louis XVIII à Paris, 3 mai 1814 par Antoine Ignace Melling

Cette dernière avait été abattue en 1792 et fondue pour en faire des canons. Elle avait été un symbole si évident de la royauté qu’on désira la ressusciter avant même que Louis XVIII ne fut entré à Paris. En toute hâte, on avait édifié un Henri IV en plâtre et lancé une souscription pour un nouveau bronze, dont le sculpteur serait François Lemot.

Cependant, dès le 4 avril, on avait mis bas la statue de Napoléon dominant la Colonne Vendôme. Le jour même, l’empereur avait abdiqué.

Or ces deux sculptures, symboles éminents de l’empire et de la royauté, ont aussi leur histoire entre les faubourgs Saint-Denis et Saint-Martin.

Napoléon et Henri IV à l’Enclos Saint-Laurent

À cet emplacement - à peu près celui de l’actuelle gare de l’Est - se trouvait alors un terrain abandonné, où avait prospéré pendant des siècles la Foire Saint-Laurent, dont on voyait encore ça et là de modestes vestiges, pans de murs et masures. Endroit paisible que cet Enclos Saint-Laurent, et pourtant les statues que nous évoquons furent de véritables avatars guerriers !

En 1808, le fondeur Jean-Baptiste Launay s’était associé au ciseleur Canlers et avait installé une fonderie 6, place de la Fidélité[7], c’est à dire juste devant l’église Saint-Laurent. Il devait y réaliser la statue de Napoléon commandée au sculpteur Antoine-Denis Chaudet (1763-1810), qui allait surmonter la Colonne Vendôme, monument à la gloire de la bataille d’Austerlitz. Elle fut érigée en 1810.

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Colonne d’Austerlitz, Place Vendôme.

Launay avait aussi exécuté les plaques de bronze du socle, toujours en place. Pour réaliser la colonne Vendôme, il avait fallu fondre 1200 canons russes et autrichiens – pris aux armées qui seraient victorieuses à Paris en 1814[8]. Quand la statue fut abattue après la Bataille de Paris, ce ne fut pas sans mal, et il fallut solliciter l’assistance de Launay, qui l’emporta à son atelier.

En mars 1815, on sait que la situation politique se retourna de nouveau: Napoléon se préparait à revenir à Paris, et les armées étrangères étaient de nouveau aux portes de Paris. Tout comme lors de la bataille de Paris du 30 mars 1814, les habitants de La Chapelle et de La Villette, villages tout proches, prirent peur et affluèrent sur  le terrain de l’ancienne foire Saint-Laurent – là où se trouvait la fonderie où le sculpteur Lemot et le fondeur Gonon travaillaient à la statue d’Henri IV que l’on voit encore sur le Pont-neuf.

 « L’Enclos de la Foire Saint-Laurent parut à ces malheureux un lieu propre à leur servir d’asile. Ils y vinrent par bandes nombreuses ; hommes, femmes, enfants, chevaux, troupeaux de toute espèce envahirent jusqu’au moindre espace. L’humanité leur ouvrit les ateliers qui étaient vides ; les autres furent escaladés. On eut mille peines à défendre celui de M. Lemot, qui craignait avec raison pour son modèle (…) »[9].

Pendant les Cent Jours, l’ex statue de l’Empereur voyagea de nouveau, on la transporta à la fonderie du Roule. Mais une fois Napoléon définitivement vaincu, son effigie de bronze revint à la fonderie Saint-Laurent, pour alimenter la statue d’Henri IV. Quatre ans de travail furent nécessaires à la réalisation de la nouvelle œuvre. La statue fut d’abord présentée en plâtre dans l’atelier (celui-ci était petit et la tête d’Henri IV touchait le plafond) puis, le 23 mars 1817, Gonon fondit la tête et le torse de la statue devant un public choisi, et le 6 octobre suivant, le reste de l’ouvrage dans la grande fonderie du Roule. Le 25 août 1818, la mise en place de cette statue au poids énorme (12 tonnes) fut spectaculaire : constatant que les attelages de bœufs étaient fourbus, une myriade d’enthousiastes les remplacèrent. [10]

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Statue d’Henri IV qui vient d’être installée sur le Pont-Neuf. Détail d’une aquarelle de Lemot, 1818.

Jean-Baptiste Launay (1768-1827), natif d’Avranches, était au départ un militaire qui se battit dans les armées de la Révolution et du Consulat. Capitaine d’artillerie, il s’intéressa au travail du métal et son habileté comme fondeur de canons le fit choisir par Napoléon pour édifier les ponts métalliques de Paris.

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Le Manuel du fondeur de Launay (1827) est encore réédité.

En 1813, Honoré Gonon (1780-1850), demeurait 33, faubourg Saint-Martin. Quand les fonderies de l’Enclos Saint-Laurent disparurent, il installa la sienne à Belleville, ancien passage du Renard. C’est là qu’il redécouvrit la technique de la fonte à la cire perdue, oubliée depuis la Renaissance, qui permet une exécution d’une grande finesse. Il mit sa maitrise au service des œuvres de David d’Angers (dont la statue en pied de Jefferson, au Capitole de Washington) et aux féroces animaux de bronze de Barye. Son fils Eugène fut aussi brillant que lui.

Les ateliers de fonderie à Saint-Laurent, établissements publics loués par l’État, seront actifs jusqu’en 1827, où Mme de Bellecôte, la propriétaire du sol, entreprendra d’y installer un nouveau marché[11].

En 1853, la gare de l’Est densifiera tout ce terrain. Un siècle après les événements de 1814 et 1815, la guerre allait de nouveau imprégner ce quartier et d’autres foules en détresse l’envahir. Cette fois c’étaient les troupes françaises qui partaient vers le nord et l’est de l’Europe.

Dominique Delord – avril 2014


[1] Rappelons que le Paris de l’époque s’arrêtait aux boulevards dont le tracé était celui des lignes actuelles du métro n° 2 et 6. Le Mur des Fermiers Généraux, édifié entre 1784-1790, avait une vocation commerciale et non militaire : on percevait l’octroi aux portes, dites barrières, c’est-à-dire une redevance sur les produits entrant dans Paris.

[2] Théophile Lavallée (1804-1865), Histoire de Paris depuis les Gaulois jusqu’à nos jours, 1852. Le château-d’eau était situé à peu près sur l’emplacement de l’actuelle Place de la République, là où commence le Boulevard Saint-Martin.

[3] Eric Hazan a décrit les dessous politiques de cette capitulation dans un article inédit (2007), en ligne : http://eric-hazan.net/article.php?id=348

[4] Paul de Kock (1793-1871), Mémoires, 1873. Ce romancier et vaudevilliste a vécu presque toute sa vie au 8 boulevard Saint-Martin. Le 23 mars, on avait joué à l’Ambigu son premier vaudeville Mme de Valnoir. La dernière tirade fut acclamée par la salle comble, qui crut y voir une attaque contre Napoléon : « Bon vieillard, (…) nous tâcherons de vous faire oublier le malheur d’avoir donné le jour à un monstre tel que celui dont nous sommes heureusement délivrés. » De Kock fut médusé !

[5] Lire par exemple le Journal des Débats, dont le premier numéro parut le 1er avril 1814.

[6] En donnant cette aquarelle au Musée de Versailles en 1862, Delescluze écrivait : « Un détachement d'officiers et de soldats russes, faits prisonniers... passe sous la porte Saint-Martin, se dirigeant sur le boulevard, escorté par le garde nationale. Les soldats, exténués de fatigue et de faim, reçoivent du pain des spectateurs. Leurs officiers s'opposent autant qu'ils le peuvent à ce que leurs soldats acceptent les secours. ».

[7] L’adresse figure sur un autographe de Launay conservé à la mairie de Savigny sur Orge, où il mourut.

[8] En 1833, on mit une autre statue de Seurre (maintenant aux Invalides), qui fut remplacée en 1863 par une troisième, de Dumont.  En 1871, lors de la Commune,  cette dernière fut abattue à son tour, mais restaurée en 1875…d’où elle n’a plus bougé depuis !

[9] Mémoires historiques relatifs à la fonte et à l'élévation de la statue équestre de Henri IV ...Charles J. La Folie, 1819. Lafolie était Conservateur des Monuments publics.

[10] Ibidem. Des objets étonnants avaient été déposés dans la statue et son socle, découverts lors de la restauration de la statue (2009). Cf. In situ, Ministère de la culture, http://insitu.revues.org/7011#tocto1n2

[11] Emile de Labédollière, Le nouveau Paris, 1864.